17 avr. 2016

Les inégalités de conversion des précurseurs d'acides gras essentiels

Consommer trop ou peu d'oméga 6 (n-6) issu du monde végétal (acide linoléique, AL), donc de tournesol, de sésame, de soja, d'arachide ou encore d'oléagineux, n'aurait pas le même effet chez tout le monde. Idem pour la consommation en acide alpha-linolénique (ALA, n-3). La réponse à un régime déséquilibré en acides gras n-3 et n-6 dépend de votre génétique car de votre génétique dépend votre faculté à transformer ces précurseurs !

On savait que la conversion des acides gras essentiels précurseurs à 18 carbones (AL et ALA), en acides gras essentiels à 22 carbones (ceux qui sont bioactifs, composants des membranes phospholipidiques et précurseurs de prostaglandines au rôle direct sur votre état inflammatoire) était imparfaite, mais le taux de conversion variait selon les estimations chez le Caucasien, entre moins d'1% et quasi 10% voire 20% chez les femmes (Arterburn, 2006). On connait une raison de ces variations: cette conversion dépend de l'activité de certaines enzymes (des désaturases) codées par les gènes FADS1 et FADS2. Leur polymorphisme humain a permis de distinguer des "forts convertisseurs" de "faibles convertisseurs". Autrement dit, en fonction de vos versions de ces gènes, vous pouvez avoir plus de faciliter à obtenir de l'EPA/DHA/DPA à partir de l'ALA mais aussi, par corollaire, plus d'acide arachidonique à partir de l'AL. Pour étayer cet impact, une équipe canadienne (Roke, 2013) montre un lien entre l'activité de ces désaturases et le profil plasmatique humain en acides gras ainsi que le taux de CRP (un biomarqueur de l'inflammation). David M. Mutch, chercheur canadien de cette équipe, est justement passé cette semaine dans notre belle Auvergne nous faire part de ces recherches, plutôt édifiantes et propices à réflexion.

C'est un sujet qui progresse. Des données toutes récentes publiées dans le 'Molecular Biology and Evolution' révèlent la prévalence de ces génotypes en fonction de groupes ethniques. Comme le montre la figure, le profil "fort convertisseur" (I/I) concernerait 70% des sud-asiatiques, 53% des africains mais seulement 17% des européens et 29% des asiatiques orientaux. L'étude complète ces observations: 18% des américains et 68% des indiens seraient de "forts convertisseurs". Les autres sont de "faibles convertisseurs" (D/D) ou intermédiaires (I/D). Autre résultat significatif: le taux plasmatique en acide arachidonique était plus élevé chez les forts convertisseurs. Ce polymorphisme génétique est supposé résulter d'une sélection naturelle qui a favorisé une génétique de fort convertisseur dans les populations dont l'alimentation reposait quasi-exclusivement sur le monde végétal et ses précurseurs en n-3 et n-6.


 


Qu'en penser? Beaucoup de choses...

1) Qu'une consommation riche en acide linoléique, typique d'un régime moderne/occidental, pourrait être plus délétère chez les "forts convertisseurs" (génotypes sud-asiatique, africain), dont le taux d'acide arachidonique pro-inflammatoire sera potentiellement plus élevé. C'est peut-être l'un des facteurs de leur plus grande sensibilité aux maladies dites de civilisation alors qu'ils ont basculé brutalement vers une alimentation et un mode de vie occidentaux !
1bis) Que ces profils peuvent favorablement répondre à la consommation d'n-3 végétaux (lin, colza, noix de grenoble), bien plus que chez les faibles convertisseurs.

2) Qu'un régime vegan/végétalien, chez un faible convertisseur (génotypes européen, nord-américan, est-asiatique), donc excluant toutes les sources en acides gras essentiels à 22 carbones (poissons gras, œufs, viandes) peut conduire à une insuffisance voire une carence en ces acides gras essentiels. Leur capacité à convertir l'ALA serait trop faible pour subvenir en leur besoin, des études ont déjà montré que la consommation d'ALA n'a parfois aucun impact sur le taux de DHA (Hussein, 2005) ! Si les "faibles convertisseurs" ne devaient choisir qu'une source d'n-3, ce seraient les EPA/DPA/DHA d'origine quasi-exclusivement animale, bien que certains suppléments tirés d'algues soient vegans.
2bis) Mais ces profils seraient plus résilients à une consommation en acide linoléique n-6 puisque lui aussi sera mal converti !

3) Que le profil ethnique n'est qu'une tendance, et qu'on retrouve des faibles et des forts convertisseurs un peu partout (quoique davantage dans l'hémisphère nord que le sud où les tendances sont plus tranchées). Des recommandations alimentaires identiques pour chaque individu sont dès lors bien compliquées à établir ! La réponse en faveur d'un profilage génétique individuel serait forcément polémique quant à son rapport bénéfice/coût, si tant est qu'il n'y ait pas de risque...

Pour vos œufs, que vous soyez forts ou faibles convertisseurs, il y aura toujours un bénéfice à les choisir de poules bien nourries (bleu-blanc-coeur, autre filière lin/oméga 3 ou poules "sauvages"). Comme mes articles l'illustrent, autant le profil en précurseurs (18 carbones) qu'en finaux (22 carbones) est amélioré !

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