12 déc. 2017

Non, la marche n'est pas une activité à éviter en ville !

Le journal The Lancet a publié en fin de semaine dernière une étude réalisée à Londres sur la marche et la qualité de l'air [1]. Celle-ci a comparé des mesures symptomatiques, respiratoires, et vasculaires entre une marche faite dans un environnement très fréquenté qu'est Oxford Street (artère la plus commerçante de Londres et ouverte à la circulation motorisée) et une marche similaire réalisée dans un environnement piéton plus préservé qu'est Hyde Park (plus grand parc de la capitale).

La presse dramatise en se faisant l'écho de résultats très négatifs :

« La pollution annule les bienfaits de la marche » (Le Figaro 6 déc. 2017)

« La pollution ruine les efforts des londoniens pour rester en forme » (Pourquoi Docteur 6 déc. 2017)

« Marcher dans des rues polluées, une mauvaise idée pour les seniors » (Science et Avenir 7 déc. 2017).

« La marche, une activité à éviter en cas de pollution » (Top Santé 8 déc. 2017)

Pourtant ces interprétations sont exagérées et dépassent celles apportées par les chercheurs. Ces titres racoleurs ne semblent avoir qu'un but fondé : attiser la curiosité, inciter les clics donc le trafic et la rémunération de ces sites en ligne. Petit décodage et recontextualisation de l'étude ! 

Ce qui a été fait

L'étude a été réalisée chez 119 adultes de plus de 60 ans : 40 volontaires sains et 79 souffrant de BPCO (une forme grave de bronchite chronique) ou de maladie coronarienne.

Durant 2 heures, il a été demandé aux volontaires de marcher, par attribution aléatoire (selon un plan d’étude croisé) :

  • soit dans l'avenue Oxford Street de Londres
    (médiane des indicateurs de pollution de l'air mesurés par des capteurs : carbone suie 10,5 µg/m3 ; N02 90 ppb ; PM2.5 18 µg/m3 ; PM10 26 µg/m3) ;
  • soit dans Hyde Park, associé à un air moins pollué
    (carbone suie 1,5 µg/m3 ; N02 20 ppb PM2.5 6 µg/m3 ; PM10 17 µg/m3).

Quelques semaines plus tard, la même expérience a été reproduite dans l'autre environnement.

Durant les 2 heures de marche, des mesures ont été effectuées : questionnaire rapportant les symptômes (essoufflement, toux, expectorations, sibilants, transpiration) et spirométrie ambulatoire (un test de la fonction pulmonaire). Ces deux périodes de marche ont été aussi précédées et suivies de mesures en laboratoire : questionnaire sur les symptômes, rigidité artérielle, et exploration fonctionnelle respiratoire.

Les résultats révèlent globalement une amélioration de la capacité pulmonaire et de la rigidité artérielle lors de la marche dans Hyde Park. En revanche, ces améliorations sont, selon le paramètre mesuré, plus faibles ou nulles ou inversées et/ou moins durables après une marche dans Oxford Street, et chez les patients BPCO et coronariens, est aussi observée une aggravation de la symptomatologie.


Des limites nombreuses, une conclusion restreinte


  1.  L'étude ne comporte pas de contrôle vis à vis du fait de marcher : il n'est pas possible de savoir si seule l'exposition à la pollution est responsable des résultats observés, ou si l'activité physique qu'est la marche y a contribué. Il peut être envisagé que l'exposition à l'air pollué, indépendamment de l'activité physique ou de la non-activité physique (marche ou activité sédentaire par exemple), conduise aux mêmes résultats, voire à des résultats encore plus défavorables en cas de non-activité physique. Cette étude ne permet pas de répondre à cette question : il faut donc prendre garde de ne pas conclure sur un effet délétère de la marche en conditions d'air pollué. Les piétons peuvent d’ailleurs être moins exposés aux polluants que les utilisateurs de transport en commun ou de voiture [2].
    Aucune conclusion sur la marche n'est possible, seulement sur la pollution ! Les résultats pourraient être les mêmes (voire pire) dans une voiture.


  2. Cette étude n'évalue qu'une réponse à très court terme que ce soit pour le facteur marche ou le facteur pollution (une seule occurrence de marche de 2 heures dans un milieu donné). Comme les auteurs le précisent : cette étude n'apporte pas d'éléments sur l'impact à long terme de la pratique régulière d'activité physique en relation avec la pollution. Or beaucoup de bénéfices induits par la pratique d'activité physique sont des mécanismes opérant sur une large échelle de temps [3], et ce, même chez les patients BPCO [4].
  3. Aucune conclusion sur des effets à long terme n'est possible : tout comme on ne va pas conclure sur l'impact d'un aliment avec une seule consommation !


  4. L'étude de cohorte SAPALDIA [5] avec 6088 individus suivis pendant 20 ans a montré que l'activité physique d'intensité modérée pourrait protéger des effets adverses de la pollution de l'air sur la rigidité artérielle. Cela suggère que la pratique d’activité physique comme la marche, lorsqu'elle est régulière et d'intensité modérée, peut néanmoins apporter des bénéfices cardiopulmonaires quel que soit l'environnement où elle est pratiquée.
    D'autres résultats scientifiques récents ne suggèrent pas ces sur-interprétations.


  5.  Les distances moyennes parcourues étaient de 4,7 km pour les deux environnements, soit une vitesse de marche de 2,35 km/heure. L'intensité d'activité physique est donc très faible, inférieure à 2 METs* d'après le Compendium of Physical Activities. Les résultats ne peuvent donc pas être élargis à des activités d'intensité plus élevée comme la marche à vitesse modérée à soutenue. Il se peut qu'à ces intensités et la même méthodologie, les bénéfices associés surpassent les effets détrimentaires de la pollution de l'air, comme l'a montré l'étude SAPALDIA.
    → Une sollicitation physiologique très faible (et faible pour les BPCO), proche de la conduite automobile (1,5 - 2,5 METs). Peut-être pas le plus efficace pour obtenir des bénéfices !
    * 1 METs = 3,5 ml d'O2/min/kg, une unité de mesure de l'intensité d'une activité physique (1 METs = repos).


  6. Les bénéfices associés à la marche dans Oxford Street ne sont pas inexistants comme cela est présenté par certains articles de presse aux conclusions binaires. Par exemple, même dans la situation Oxford Street, les individus coronariens et BPCO ont eu une amélioration de la VEMS (le volume maximal expiré pendant la première seconde d'une expiration forcée : un marqueur de pronostic et de sévérité de la BPCO).
    Même sur une si courte échelle de temps, les résultats ne sont pas tous noirs ou tous blancs !


  7. Les symptômes respiratoires sont mesurés par un questionnaire déclaratif et donc sujet aux biais de déclaration. L'exposition aux deux environnements ne peut pas se faire en aveugle, l'individu est conscient de ce qui les caractérise. Les biais de confirmation d'hypothèse ne peuvent être écartés : les idées préconçues concernant les liens entre pollution de l'air et la santé peuvent influencer la perception et la déclaration des symptômes lorsque la personne est dans un environnement qui lui semble plus ou moins pollué qu'un autre. Les autres mesures, plus objectives, sont moins sujettes à ce biais.
    Les biais cognitifs ne sont pas à négliger, ...


  8. Enfin, interrogés par le journal The Telegraph (5 déc. 2017), les auteurs de l'étude évoquent la possibilité que certaines des différences physiologiques mesurées peuvent être causées par un niveau de stress aigu plus élevé dans la situation Oxford Street (activité/trafic, et niveau sonore plus élevé de 2,5 dB en moyenne). Ceci a par exemple déjà été documenté pour la rigidité artérielle [6].
    ... ni les facteurs confondants !

Cette étude ne permet pas de savoir :


  • si, sur le long terme, un environnement pollué réduit ou annule les bénéfices liés à une pratique régulière de la marche, et ce pour toutes les intensités de marche.
  • si la marche en environnement pollué est plus néfaste ou au contraire, plus bénéfique, que la même exposition en environnement pollué sans marche.

« Le message que devraient porter les médias : pas que la marche soit néfaste lorsque l'air est pollué (l'étude ne le montre pas), mais qu'améliorer la qualité de l'air, que l'on fasse ou non de l'activité physique, est souhaitable. »


Cette étude n'apporte aucun élément pour dissuader, quel que soit le niveau de pollution, de pratiquer une activité ou un transport actif comme la marche par rapport à un transport ou une activité sédentaire (voiture, moto, transport en commun), car elle ne les a pas comparé.

L’interprétation de l’étude ne peut pas faire abstraction des preuves de bénéfices de santé publique de la marche régulière déjà rapportés dans la littérature scientifique, et allant au-delà des paramètres mesurés dans le cadre de cette étude : bénéfices physiologiques, mentaux, sociaux et environnementaux [7].

Au final, et comme le recommandent les chercheurs de cette étude, il est nécessaire de mener des études de cohorte de longue durée, aussi bien chez les individus sains que ceux souffrant de pathologies cardiorespiratoires. Les politiques et les mesures de réduction de la pollution de l'air doivent être nécessairement poursuivis, et c'est finalement le message que devraient porter les médias : pas que la marche soit néfaste lorsque l'air est pollué (l'étude ne le montre pas), mais qu'améliorer la qualité de l'air, que l'on fasse ou non de l'activité physique, est souhaitable.

Le niveau de preuve pour déconseiller la pratique régulière de la marche même dans un environnement relativement pollué n'est à ce jour pas suffisant. Dans une vision plus globale, il serait contre-productif pour la pollution des villes de ne pas encourager la marche, à l'heure où 20% des trajets effectués en voiture font moins de 2 km en France [8]. En effet, la pratique de la marche peut réduire le niveau de pollution même des villes, et donc contribuer à un cercle vertueux pour la santé.

Références


[1] R. Sinharay et al., « Respiratory and cardiovascular responses to walking down a traffic-polluted road compared with walking in a traffic-free area in participants aged 60 years and older with chronic lung or heart disease and age-matched healthy controls: a randomised, crossover study », The Lancet, nov. 2017.

[2] A. McNabola, B. M. Broderick, et L. W. Gill, « Reduced exposure to air pollution on the boardwalk in Dublin, Ireland. Measurement and prediction », Environment International, vol. 34, no 1, p. 86‑93, janv. 2008.

[3] M. Reiner, C. Niermann, D. Jekauc, et A. Woll, « Long-term health benefits of physical activity – a systematic review of longitudinal studies », BMC Public Health, vol. 13, p. 813, sept. 2013.

[4] M. J. Berry, W. J. Rejeski, N. E. Adair, Ettinger, D. J. Zaccaro, et M. A. Sevick, « A Randomized, Controlled Trial Comparing Long-term and Short-term Exercise in Patients With Chronic Obstructive Pulmonary Disease », Journal of Cardiopulmonary Rehabilitation and Prevention, vol. 23, nᵒ 1, p. 60, févr. 2003.

[5] S. Endes et al., « Is physical activity a modifier of the association between air pollution and arterial stiffness in older adults: The SAPALDIA cohort study », International Journal of Hygiene and Environmental Health, vol. 220, nᵒ 6, p. 1030‑1038, août 2017.

[6] C. Vlachopoulos, F. Kosmopoulou, N. Alexopoulos, N. Ioakeimidis, G. Siasos, et C. Stefanadis, « Acute Mental Stress Has a Prolonged Unfavorable Effect on Arterial Stiffness and Wave Reflections », Psychosomatic Medicine, vol. 68, nᵒ 2, p. 231, avr. 2006.

[7] I.-M. Lee et D. M. Buchner, « The importance of walking to public health », Med Sci Sports Exerc, vol. 40, nᵒ 7 Suppl, p. S512-518, juill. 2008.

[8] Enquête nationale transports et déplacements (ENTD) 2008

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