5 avr. 2018

Sucres VS Graisses, épisode IV par Enquête de Santé (France 5)

Le méchant sucre et les gentilles graisses. Si la vision manichéenne inverse, qui a prévalu pendant des décennies, résultait de multiples biais cognitifs et doit être enterrée, soyez sûr que son strict miroir ne sera pas le nouvel Évangile. Les mêmes recettes pour des polarités différentes, il n'y a pas qu'en politique où l'humain aime la dualité ! Hier soir, France 5 a diffusé un documentaire sur les graisses. Relevons plusieurs passages corrects voire à féliciter, dont certains rarement évoqués au grand public (comme la filière lin ou le niveau de transformation des aliments lipidiques). Par contre, et nous cliniciens commençons déjà à en payer le prix, ne les remercions pas pour générer confusion et fausses conclusions en inversant naïvement les anciennes et caduques relations de culpabilité. Oui, parce que dans la justice nutritionnelle, il faut toujours un seul coupable désigné !


🔹Tout a été fait pour que la personne lambda associe le mal aux glucides et le bien aux graisses, sur des arguments sans queue ni tête où l'on pouvait autant intervertir le mot glucide ou le mot lipide. Exemple : en quoi le fait que les sucres en excès se transforment en graisse (la lipogénèse) les rend coupables et innocente les graisses ? Alors que celles-ci, en excès, seront aussi stockées sous forme de graisse (désolé, tout ne finit pas en stéatorrhée !). On ne comprend pas, et ils ont pourtant insisté.

🔹Mais la plus grosse manipulation vient ensuite : le passage sur la progression de l'obésité aux US est un cas d'école. On vous montre une belle courbe en diminution, celle de la consommation des graisses. L'animation vous empêche peut-être de voir l'axe des ordonnées : ce n'est pas la quantité (en poids ou en équivalent énergétique) qui est représentée, mais le % par rapport aux calories totales. Règle d'or en biostatistiques : toujours se méfier des pourcentages (comme des moyennes !). Car les américains ont en fait augmenté leur consommation de graisses. Sauf que l'augmentation de l'apport calorique total est telle qu'elle peut expliquer que la part relative des graisses diminue (ce qui n'est pas vraiment le cas non plus, voir l'apparté en bas de l'article). Bref, les journalistes ont plus qu'insinué une baisse de la consommation des graisses, ce qui n'est clairement pas le cas. Pire, la voix-off conclut à une relation de causalité (entre plus de glucides et plus d'obésité) devant leurs courbes corrélées : bim, pas eu le temps de l'éteindre, le bullshitomètre a explosé 🗯. Moi qui venais juste de finir de le réparer... Il prend cher lui !


❓Pourquoi aucune notion de l'apport calorique total qui n'a cessé d'augmenter jusqu'à aujourd'hui (non représenté mais même source que le graphique des graisses : USDA) ? Peu importe d'où provient l'excès de substrats énergétiques quand il y en a trop : il y en a trop ! Attendons nous à ce qu'un jour, si cela devient une tendance, ce soit les protéines qui prennent les torts ! Enfin, rien non plus sur la baisse de la dépense énergétique associée aux niveaux d'activité physique de cette population. En deux heures, émission et débat inclus, a-t-on simplement et ouvertement parlé de la notion même de balance énergétique (entrées/sorties) ?
On peut mettre en pièce toute vision manichéenne de tel ou tel "méchant nutriment". La vulgarisation scientifique, c'est de montrer simplement que les choses sont complexes. Car elles ne sont pas simples mais multifactorielles. Il aurait été bien moins contre-productif d'insister sur la balance énergétique, sur le qualitatif des sources en ces macronutriments (transformation, dégradation, oxydation...) plutôt que de faire passer les graisses pour de l'eau. Au lieu de mettre un sucre dans son café, le français risque d'y faire fondre un morceau de beurre (NDA : trop tard, c'est déjà une mode) !

➡ Enfin, répétons ce qu'il faut inlassablement répéter. Contrairement à ce que les invités (pourtant qualifiés...) ont affirmé en fin de discussion : non, les Européens sont de très faibles convertisseurs des oméga-3 précurseurs en EPA et DHA (voir cet article). Donc si on ne peut pas manger de poisson gras, des œufs oméga-3 (Bleu-Blanc-Cœur par exemple) seront une bien meilleure source d'EPA et de DHA, c'était le moment d'en parler... Mieux aussi que les compléments alimentaires conseillés par Sylvain Duval, n'est-ce pas (voir cet article).

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Pour les curieux, sachez que même la courbe du % de graisses dans l'apport calorique total présentée par France 5 ne colle pas avec les données américaines. D'où sort cette courbe décroissante continue passant environ de 37% en 1970 à 29% en 2010 ? Les données de l'USDA (traitées par Kevin Bass sur ce graphique), des données imparfaites (ne prenant pas en compte les quantités associées au gaspillage alimentaire par exemple) mais sans réel équivalent ou concurrence, montre plutôt un passage de 40% à 42% entre ces deux dates.
Aux journalistes d'enquête de santé : donnez-nous vos sources...
Cela ne changera rien au fait qu'il faut raisonner en quantités absolues, mais dénote d'un possible #fakegraph !

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